Nul n’est censé ignorer la loi (pénale marocaine) ! Par Rabii CHEKKOURI, Avocat.

« Nul ne peut invoquer pour son excuse l’ignorance de la loi ». C’est en ces termes que le Code pénal marocain s’amorce.
Mais celui-ci comprend toujours des dispositions archaïques, jamais renouvelées, qui ne se conforment pas avec le principe constitutionnel de la légalité criminelle.

 

« Si l’interprétation des lois est un mal, il est évident que leur obscurité, qui entraîne nécessairement l’interprétation, en est un autre » (César Beccaria, Traité des délits et des peines – 1764).

Ce pénaliste italien du 18ème siècle, soulevait déjà à l’époque les difficultés que peut engendrer « l’obscurité » ou l’ambiguïté d’une loi qui est censée être le fondement de la condamnation d’un Homme et dont on lui intime l’ordre de connaître.

En effet, le législateur marocain nous rappelle dans la première page du Code pénal que « nul ne peut invoquer pour son excuse l’ignorance de la loi pénale » (art. 2 du CP marocain).

Toutefois, si ce texte s’adresse à l’ensemble des citoyens et des personnes se trouvant sur le territoire national, il devra sans doute être le corollaire d’un autre principe : celui de la légalité criminelle.

Ainsi, à l’ère de la mondialisation, de la modernité et de la mixité, les individus nouent différents relations entre eux de plus en plus facilement et dépourvues de tout complexe.

Partant, de ces rapports sociaux naissent nécessairement des tensions, des litiges et des comportements susceptibles de causer un déséquilibre dans la société.

Par conséquent, il est naturellement nécessaire que l’Etat ait l’obligation de préciser judicieusement les comportements néfastes pour la société avant de refuser toute excuse tenant à l’ignorance de loi.

Peut-on alors affirmer que nos dispositions pénales sont suffisamment claires et adaptées à l’évolution de la société ?

1. Le principe de la légalité criminelle au Maroc : la théorie en parfaite clarté.

A l’instar des anciennes Constitutions du Royaume, la nouvelle Constitution du 29 juillet 2011 a consacré dans son article 23 le principe des délits et des peines, ou dans une acception plus large le principe de la légalité criminelle : « Nul ne peut être arrêté, détenu, poursuivi ou condamné en dehors des cas et des formes prévus par la loi ».

En effet, ce principe fondamental et primordial du droit pénal moderne signifie qu’il ne saurait y avoir d’inculpation ou de répression sans une définition préalable du comportement reproché.

Ainsi, en exigeant une définition préalable des infractions et des sanctions, ce principe constitutionnel met la société à l’abri des incertitudes sur l’interdit et assure l’acquiescement de la sanction.

Le législateur n’a pas manqué de rappeler le principe légaliste dans l’article 3 du Code pénal : « nul ne peut être condamné pour un fait qui n’est pas expressément prévu comme infraction par la loi, ni puni de peines que la loi n’a pas édictées ».

Partant, si l’intervention de la loi est inéluctablement nécessaire au principe de la légalité criminelle, celle-ci demeure en revanche insuffisante : la loi doit répondre aux impératifs de précision et de clarté rédactionnelle pour ne pas être source d’excès ou d’arbitraire.

2. Le principe de la légalité criminelle au Maroc : la pratique en parfaite ambiguïté.

Force est de constater que le Code pénal marocain n’a, dans un certain nombre de cas, pas suivi l’évolution de la société.

En effet, l’un des exemples les plus parlant est celui des infractions de mœurs.

A la lecture de l’article prévoyant l’infraction du viol, nous nous rendrons compte du caractère archaïque de la définition : « Le viol est l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci ».

Ainsi, cette définition est non seulement imprécise, mais est, de surcroît, injustement circonscrite : le législateur de 1962 ne réprime le viol que s’il est commis par une personne de sexe masculin sur une personne de sexe féminin !

Par conséquent et puisque le juge est tenu par une interprétation stricte de la loi pénale, celui-ci ne peut fonder une condamnation d’un homme qui a violé un autre homme sur ce texte !
En pratique, de tels faits sont réprimés aux termes de l’article 485 du CP marocain concernant l’attentat à la pudeur, ce qui constitue une dénaturation des faits entraînant une qualification inadaptée au regard de ses éléments constitutifs.

En droit comparé, notamment en droit français et en droit belge, le viol est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit ». Cette définition est parfaitement précise puisque le législateur met en évidence l’acte de pénétration sexuelle, c’est-à-dire toute pénétration dans l’organe sexuel et non pas forcément par organe sexuel. Il ne fait donc pas de référence à un sexe particulier.
Il se peut alors que cette pénétration soit opérée par voie vaginale, annale ou buccale moyennant un pénis, un doigt ou encore un objet.

Contrairement au législateur marocain qui se contente de mentionner que des relations doivent être entretenues contre le gré de la victime, le législateur français et belge définissent les circonstances de cet acte de pénétration en précisant qu’il doit être commis par violence, menace, contrainte ou surprise.

Et c’est à la jurisprudence de dessiner les contours de chaque composante de l’élément matériel.

Il est donc évident que le législateur marocain, en gardant cette définition archaïque du viol, ne respecte pas le principe de la légalité criminelle et laisse, par conséquent, une large marge d’interprétation au juge.

Ainsi, le juge pénal marocain sera contraint d’appliquer l’article concernant l’attentat à la pudeur (art. 484 et 485 du CP marocain) pour toute infraction sexuelle en dehors du cas très injustement précis du viol (aux termes de l’art. 486 du CP marocain).

En droit comparé précédemment cité, toute infraction sexuelle ne comportant pas dans son élément matériel un acte de pénétration, sera qualifiée d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle (plus précise que la qualification d’attentat à la pudeur).

Au demeurant, gardons l’espoir qu’un jour une exception d’inconstitutionnalité (l’équivalent de la QPC en droit français) sera soulevée par un justiciable. Mais avant d’avoir cet espoir, gardons celui qu’un jour une loi organique verra le jour pour que ce mécanisme puisse être appliqué !

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